5 juillet 2008

L'entrevue

En marchant vers l’établissement, j’ai eu un feeling rarement ressenti avant une entrevue. Quelque chose s’est brisé en route. Bel endroit moderne et vieillot pour y passer la journée malgré tout. Ancienne usine de cigares, entre autres.

J’attends que l’autre entrevue se termine et qu’on vienne me chercher. Jusqu’ici tout va bien. À part un méchant nœud dans le ventre. De plus, je ne suis pas préparée plus qu’il le faut. Je commence à anticiper les questions. Que vais-je diantre lui apporter, à ce patron que je ne verrai jamais ?

LA femme des ressources humaines vient me chercher. Mon instinct animal déclanche l’alarme : aversion brutale envers cette hommasse dominante mais peureuse et princesse jusqu’à la moelle. J’entre dans la salle de conférence où une autre femme et un homme sont assis. Les directeurs des deux départements dont je m’occuperais. Sans effort, je clique avec la femme département no 1. De plus, elle semble intriguée par moi. Avec l’homme, département no 2, c’est flatliner. Un air sympathique, sans plus.

Dix secondes viennent de passer. Ils se présentent. Je n’entends déjà plus rien. J’ai tout de suite peur qu’on me pose une question plus tard sur ce qu’ils sont en train de dire. Qu’est-ce qu’ils disent, merde ?! LA m’explique le déroulement de l’entrevue : il y aura 23 questions sur une période de 40 minutes. Les 20 dernières minutes sont pour moi, pour mes questions. Wow. Stu payant ?

LA regarde la description de tâches dans mon curriculum vitae. Elle lance : « Présentez-vous et dites-nous, selon vos expériences acquises, celles qui rejoignent les tâches auxquelles vous serez confrontées. » J’emploie "confrontées", c’est tout ce qui me vient en tête. Le mur frappe. Ou c’est moi qui rentre dedans, je ne sais plus trop. J’ai compris, mais je la fais répéter pendant que je cherche une réponse. Comme je faisais avec maman quand elle me demandait mes tables. Je commence à baragouiner. Je veux expliquer que rien ne me fait vraiment peur car je suis intérimaire depuis longtemps et qu’il me faut, à chaque fois, performer. Ça ne sort pas. Mais ce n’est pas c’que je veux dire non plus. Je dois faire un fade out avec mes tâches... je ne m’entends plus parler... je cherche pendant que je parle. On dirait que ma tête est dans un scaphandre. J'aspire à mon air. Ma tête doit sortir de l’ambiguïté pour ne pas sombrer dans les dangereux et sombres bas-fonds.

J’arrête de parler. Je pose mes deux mains sur la table. Je regarde mes mains et je prends le temps d’observer la table; ovale, en bois brut avec une ligne de métal incrustée autour. Fort belle. Ça semble long, ils me regardent, alertes. « Je dois me désister. Je suis navrée. » L’homme me répond illico : « Pas de problème, merci de vous être déplacée. » Direct et courtois. Je me dis qu’il a l’habitude avec les femmes que l’on doit prendre avec des pincettes. Je me sens effectivement déplacée. La femme département no 1 est plus conciliante : « C’est nous, c’est l’institution ou ce n’est pas la bonne journée pour une entrevue ? » En me levant, je réponds positivement que ce n’est pas la bonne journée. LA, semble la moins compréhensive des trois. Mon aversion revient à la surface. Les deux femmes se lèvent. LA me dirige vers la porte tandis que la femme département no 1 me prend le bras à deux mains et me dit merci. L’homme reste assis, regarde la scène et mon cul pendant que je sors de la pièce.

J’ai besoin de beaucoup d’air. Dehors, il faut chaud. J’ai le goût de me coucher par terre et pleurer jusqu’à épuisement. Finalement, non. Je regarde le soleil jaune pâle seyant aux western spaghetti et je respire à fond. The hell with them! J’appelle mon pote, la voix tremblante...